Expositions

10 expositions incontournables aux Rencontres d’Arles 2023

  • Rétrospectives, explorations d’archives, enquêtes environnementales ou sociologiques, photojournalisme, liens photographie – cinéma, découvertes de jeunes talents… Le festival de photographie qui se tient à Arles jusqu’au 24 septembre permet d’explorer tous ces thèmes, et d’autres, à travers 45 expositions. En voici dix qu’il ne faut pas manquer !
  1. Saul Leiter, Assemblages.

Sans hésitation, la rétrospective consacrée à ce géant longtemps ignoré de la photographie de rue, qui fut aussi un pionnier de la couleur, emporte tous les suffrages. Né dans une famille juive orthodoxe de Pittsburgh, Saul Leiter (1923-2013) était destiné, comme son père et son grand-père avant lui, à devenir rabbin. À 12 ans, il réalise ses premières photographies avec un appareil offert par sa mère. Attiré depuis l’adolescence par la peinture impressionniste, il participe dès ses années de collège à plusieurs expositions de peinture. Et à 22 ans, il décide au grand dam de sa famille d’abandonner ses études rabbiniques pour s’installer à New-York et devenir peintre. Il débute en exposant ses tableaux dans de petites expositions collectives. Parallèlement à sa pratique picturale, il commence à réaliser des séries de photographies en noir et blanc. Une première série est publiée par le magazine Life en 1951. Deux ans plus tard, le MOMA et le musée d’art moderne de Tokyo exposent plusieurs de ses photos. Dès 1948, il expérimente les films couleur. De la fin des années 1950 jusqu’aux années 1980, il gagne sa vie comme photographe de mode pour les magazines Harper’s Bazaar, Vogue, Elle, etc…, ne cessant jamais pour autant de peindre et de capter à l’aide de son appareil-photo des images fugaces saisies dans son quartier de East 10th Street : photos prises à travers des vitres de voitures et de fenêtres, ou en plongée depuis un point de vue supérieur, reflets dans des miroirs, photos de neige et de pluie… Autant d’expérimentations et de recherches visant à saisir l’inattendu, à capturer « l‘invisible beauté de l’ordinaire ». La passion qu’il nourrit toute sa vie pour Bonnard, Vuillard, Matisse, Degas, partagée avec son amour pour l’art et la littérature du Japon ont forgé chez lui ce style si particulier mêlant modernité et poésie, où l’accent se porte sur les formes, la calligraphie, les aplats de couleur, associés à une prédilection pour les compositions décalées et les points de vue inhabituels.
En dépit de son talent, Saul Leiter restera en retrait jusqu’à la fin de sa carrière. Il ne cherchera pas à valoriser son travail personnel, cultivera l‘anonymat et évitera délibérément les opportunités qui s’offrent à lui, s’interdisant de manière plus ou moins consciente l’accès au succès. « Peut-être parce que mon père désapprouvait presque tout ce que je faisais », confiera-t-il dans une interview quelques mois avant de mourir, « quelque chose en moi m’incitait à fuir le succès ». Ce n’est que dans les dernières années de son existence que son travail sera redécouvert. Depuis sa mort en 2013, la fondation Saul Leiter a entrepris de dresser l’inventaire de son œuvre, à savoir plus de 60.000 diapositives couleur qui n’avaient jamais été montrées, des centaines de tableaux et de photographies peintes, quantité de photographies de mode, de portraits, de nus, dont les 150 œuvres rassemblées au palais de l’Archevêché donnent un aperçu significatif et enthousiasmant.
Palais de l’Archevêché, tous les jours de de 10h à 19h30, jusqu’au 24 septembre 2023.

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  1. Diane Arbus, Constellation.

Autre monument dont on célèbre le centenaire de la naissance, la photographe américaine disparue à l’âge de 48 ans, dont la galerie de personnages saisissants a bouleversé l’histoire du portrait photographique. Dans le cadre du programme Arles associé, la Fondation LUMA consacre une rétrospective majeure à cette immense artiste, qui a constamment cherché ses modèles dans les marges de la société, les minorités, les sous-cultures, s’intéressant à tous les hors-normes. Qu’il s’agisse d’handicapés mentaux, d’artistes de cirque, de nudistes, de travestis, de couples étrangement assortis, ou parfois de célébrités, ce n’est pas tant la bizarrerie de ces personnages qui intéresse la photographe que la possibilité d’interroger à travers ces portraits la normalité, le genre, l’identité – des questions qui, plus d’un demi-siècle après sa disparition, restent brûlantes d’actualité. L’ensemble exceptionnel de 454 images acquis en 2011 par la collectionneuse et mécène Maja Hoffmann pour sa Fondation LUMA correspond à l’intégralité de l’œuvre de Diane Arbus, rassemblée dans le « Selkirk Prints Set » du nom de Neil Selkirk, ancien étudiant et collaborateur de la photographe qui fut le seul autorisé par la famille à réaliser des tirages posthumes de ses négatifs après le suicide de l’artiste en 1971. Le corpus comprend la totalité des photographies réalisées par Diane Arbus entre 1945 et 1971, dont au moins 150 étaient inédites. Photographiés de façon frontale en noir et blanc, éclairés par un flash puissant, ses modèles prennent un aspect théâtral, tantôt comique, tantôt tragique, qui révèle leur fragilité et souligne leurs failles.
La scénographie immersive imaginée par le commissaire Matthieu Humery, composée de grilles sur lesquelles les photos sont accrochées sans ordre ni thématique, à différentes hauteurs et pas toujours très visibles, fait l’effet d’un labyrinthe. Au fond de la salle, l’immense miroir couvrant toute la surface du mur donne dès l’entrée l’illusion d’un espace beaucoup plus vaste dans lequel le regard se perd.
On déambule entre ces grandes structures métalliques qui pourraient évoquer aussi bien des blocs d’immeubles à Manhattan, avec leurs tours percées de fenêtres laissant voir les habitants des différents étages, qu’un réseau complexe de terminaisons neuronales reliant tous ces personnages dans le cerveau d’une même personne, en l’occurrence celui de Diane Arbus elle-même. Ça et là, un miroir dépoli renvoie au spectateur le reflet flouté de sa propre image comme s’il faisait partie intégrante du décor. Après avoir erré, sans réel point de repère spatial ou mental, dans cet étrange dédale, on se retrouve finalement face à soi-même devant le mur-miroir du fond de la salle, de manière si surprenante que le gardien posté en surveillance doit constamment interpeller des visiteurs qui, ne se reconnaissant pas tout de suite, tentent de contourner leur propre reflet pour poursuivre leur parcours. Cette expérience étonnante est un voyage d’autant plus déboussolant qu’aucun commentaire didactique ni catalogue n’accompagne l’exposition, à l’exception du livret reprenant simplement les légendes des photos. L’Estate qui gère l’héritage de l’artiste n’a en effet pas autorisé la publication d’un catalogue, ni la prise de photographies dans l’exposition. On se reportera donc aux catalogues d’expositions plus anciennes, disponibles en quantités limitées au comptoir de la librairie installée près de l’entrée, si l’on veut en savoir un peu plus.
Tour LUMA, tous les jours de 10h à 19h30, jusqu’au 24 septembre 2023.

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  1. Collection Florence et Damien Bachelot, musée Réattu.

De portraits, il est encore question dans la belle exposition déployée au sein des collections du musée Réattu. En 1965, ce joli musée situé au bord du Rhône, qui abrite notamment des collections de peinture et de sculpture, fut le premier en France à accueillir une collection publique de photographie à l’initiative du conservateur Jean-Maurice Rouquette et du photographe Lucien Clergue, futurs cofondateurs des Rencontres d’Arles, qui invitèrent alors 40 photographes célèbres à participer à ce projet en faisant don au musée de tirages de leurs œuvres. Dès la première année, le musée récolta près de 400 photographies, auxquelles plusieurs milliers d’autres vinrent s’ajouter au fil des ans, permettant au musée d’organiser de nombreuses expositions consacrées à ce médium. C’est la première fois, cependant, que le musée accueille une collection photographique étrangère en ses murs. À cette occasion, les commissaires Françoise Docquiert et Andy Neyrotti ont conçu un parcours en deux temps, initiant dans les premières salles un dialogue entre les photographies de la collection Bachelot et les œuvres des collections permanentes d’art ancien et contemporain du musée, puis laissant les œuvres de la collection invitée investir entièrement les salles suivantes. Constituée à partir du milieu des années 2000, la collection Bachelot compte environ 1000 photographies dont l’exposition présente une sélection de 120 images sur le thème du portrait. Si Florence et Damien Bachelot ne revendiquent pas de ligne spécifique ou de fil conducteur dans leur collection, celle-ci se dessine tout de même clairement autour de la photographie humaniste, avec une attention toute particulière portée à la qualité des tirages et à la provenance des œuvres. Aux côtés des grands photographes historiques du XXe siècle (Doisneau, Brassaï, Cartier-Bresson, Arbus, Leiter, Goldin…) qui ont constitué le noyau de la collection à ses débuts se sont ajoutés progressivement de jeunes talents de la scène française contemporaine comme Laura Henno, Mohamed Bourouissa, Thomas Boivin, Luc Delahaye… L’exposition comprend quelques images iconiques, parmi lesquelles l’envoûtante Lella d’Edouard Boubat (1948) ou le magnétique Young Boy de Paul Strand (1951). On retiendra aussi le profil de la belle Olga Pantushenkova saisi par Ann Ray qui fait l’affiche de l’exposition (Mysteries, 1998), ainsi qu’un superbe portrait de jeune homme Navajo signé Carl Moon (1905). La collection possède en outre un ensemble exceptionnel de tirages de Saul Leiter dont on peut voir quelques exemplaires dans l’exposition, le reste ayant été prêté à l’occasion de la rétrospective présentée au palais de l’Archevêché (environ un tiers des œuvres de l’exposition).
Musée Réattu, tous les jours sauf le lundi de 10h à 18h, jusqu’au 24 septembre 2023.

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  1. Jacques Léonard, L’esprit nomade, musée Réattu.

Au deuxième étage du musée Réattu se tient une autre exposition qui vaut le détour, consacrée à un photographe français encore trop peu connu malgré la qualité de son travail. Né en France en 1909, Jacques Léonard débute sa carrière professionnelle dans le domaine du cinéma (il a notamment travaillé comme assistant pour Abel Gance), puis s’installe en Espagne où il devient photographe indépendant, travaillant pour la presse et la publicité. Au début des années 1950 à Barcelone, il tombe amoureux de Rosario Amaya, une belle gitane du quartier de Montjuïc. En l’épousant, il intègre la grande famille de la communauté gitane de Barcelone, dont il documentera la vie quotidienne et les traditions pendant plus de 25 ans avec des photos magnifiques, constituant l’une des plus importantes collections photographiques sur la culture gitane. L’exposition rassemble une sélection d’environ 150 images tirées des archives du photographe (qui en comptent près de 20.000), parmi lesquelles on peut voir aussi deux importantes séries illustrant son travail de photojournaliste : les Évadés, un reportage de 1943 sur le passage par l’Espagne de Français fuyant le fascisme pour embarquer vers l’Afrique, et La División Azul, de 1954, montrant le retour des survivants de cette division de 45.000 hommes envoyée en Russie par Franco pour soutenir l’armée nazie.
Musée Réattu, tous les jours sauf le lundi de 10h à 18h, jusqu’au 24 septembre 2023.

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  1. Gregory Crewdson, Eveningside – 2012-2022.

Exposition-phare de ces Rencontres 2023, Eveningside rassemble le travail des dix dernières années de Gregory Crewdson, illustre photographe américain qui dépeint depuis plus de trente ans une Amérique en déliquescence, figurée par des bourgades anonymes aux rues dépeuplées et à l’économie sinistrée, dont les habitants esseulés semblent condamnés à un destin sans issue. Les séries Cathedral of the Pines (2012-2014), An Eclipse of Moths (2018-2019) et Eveningside (2021-2022) forment une trilogie dans laquelle s’entremêlent étroitement le caractère personnel et intime du travail de Crewdson, particulièrement sensible dans Cathedral of the Pines et An Eclipse of Moths, et son engagement politique, plus marqué dans Eveningside (qui a donné son nom à l’exposition) tournée en noir et blanc pendant la pandémie et montrée pour la première fois en France. Les images crépusculaires, hantées de personnages fantomatiques qui semblent figés dans cet univers désespéré, offrent une vision sépulcrale des États-Unis, aux antipodes du vieux rêve américain. Parmi les maîtres dont Crewdson revendique l’héritage spirituel, figure bien sûr le peintre Edward Hopper, dont l’écho des compositions est manifeste dans nombre de ses photos, mais aussi les réalisateurs Alfred Hitchcock, David Lynch et Steven Spielberg.
Tirées en grand format, les photographies, fruit d’une mise en scène extrêmement élaborée, sont comme les arrêts sur image d’un film, focalisés sur l’acmé de l’histoire. Chaque objet, chaque détail, est saturé de symbolique dont on peine parfois à retrouver le sens, mais on comprend que rien n’est là par hasard. Crewdson travaille avec des équipes et des moyens dignes de grandes productions cinématographiques. Le plateau de ses prises de vue compte une cinquantaine de personnes, et toutes les images sont retravaillées en postproduction pour en assembler les détails. La vidéo du making-of de la série Eveningside, projetée à la fin de l’exposition, permet de se faire une idée de l’ampleur de la préparation et des moyens mis en œuvre. Mais ce démontage explicite du processus créatif lui fait perdre en retour une partie de son mystère.
En contrepoint de ce travail récent s’affiche en préambule de l’exposition une série plus ancienne, les Fireflies, produite par Crewdson en 1996 et dont il a longtemps caché l’existence. Cet ensemble de paysages nocturnes ponctués de lucioles qui anticipe son goût pour les atmosphères obscures, réalisé sans assistance technique à l’aide d’un simple appareil photographique, charme par sa poésie.
Fondation LUMA, Atelier de Mécanique générale, tous les jours de 10h à 19h30, jusqu’au 24 septembre 2023.

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  1. Agnès Varda, La Pointe courte. Des Photographies au film.

Disparue en 2019, l’épatante Agnès Varda est à mise à l’honneur à plusieurs reprises dans cette édition des Rencontres, avec la présentation d’un nouveau chapitre des archives du critique d’art et commissaire Hans Ulrich Obrist à la Fondation LUMA, ainsi que dans l’exposition Scrapbooks à l’espace Van Gogh qui présente un de ses carnets de cinéma. Mais l’exposition la plus touchante la concernant est sans doute celle qui raconte ses débuts de photographe et de réalisatrice à la Pointe courte, un quartier de pêcheurs à Sète où elle a passé son adolescence et où elle tourna son premier long-métrage.
Née en 1928 à Ixelles (Belgique) d’un père grec et d’une mère française, Agnès Varda disait avoir un lien particulier avec la ville d’Arles où ses parents l’avaient conçue et pour cette raison prénommée Arlette, prénom qu’elle changea à 18 ans pour Agnès. En mai 1940, sa famille quitte la Belgique pour se réfugier à Sète où elle demeure jusqu’en 1943, installée sur un bateau amarré à quai, séjour qui sera fondateur pour la jeune adolescente, avant de s’installer définitivement à Paris. Agnès Varda reviendra régulièrement passer des vacances dans le petit port méditerranéen jusqu’au début des années 1960.
Après un CAP de photographie obtenu à Paris en 1949, elle s’installe comme photographe indépendante. Elle n’a d’ailleurs pas attendu son diplôme pour se lancer dans la photographie, promue en 1948 par Jean Vilar, qu’elle a connu à Sète, photographe officielle du Festival d’Avignon, et à partir de 1951 du Théâtre national populaire. En juin 1954, elle organise un premier accrochage de ses photographies dans la cour de l’atelier où elle s’est installée rue Daguerre à Paris, et dans la foulée, durant l’été de la même année, sans aucune expérience du cinéma, elle entreprend la réalisation d’un long métrage « pour mettre des mots sur les images ». S’appuyant sur les photos qu’elle a prises à Sète pour dessiner le cadre de ce projet, en créer le décor et inspirer les atmosphères, elle invente une nouvelle forme cinématographique dans laquelle se conjuguent deux récits. L’un est traité comme un documentaire relatant la vie quotidienne des pêcheurs vivant dans le quartier très modeste de la Pointe courte, l’autre suit les émois d’un jeune couple en crise, incarné par Silvia Monfort et le très jeune Philippe Noiret (qui a remplacé au dernier moment Georges Wilson malade), au gré de leurs déambulations dans le décor âpre mais splendide de l’étang de Thau. Réalisé avec très peu de moyens, le film bouleverse tous les codes du cinéma de l’époque, anticipant la Nouvelle Vague qui n’émergera que cinq ans plus tard. Un film « libre et pur », « miraculeux », jugera le critique André Bazin, un des créateurs des Cahiers du cinéma. Une liberté créatrice qui sera la signature d’Agnès Varda, douée d’une incroyable capacité à se réinventer tout au long de sa vie.
Cloître Saint-Trophime, tous les jours de 9h à 19h, jusqu’au 24 septembre 2023.

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  1. Juliette Agnel, La main de l’enfant.

Lauréate 2023 du prix Niepce, Juliette Agnel se passionne depuis des années pour les paysages extrêmes, empreints des forces de la nature, et pour les territoires chargés de mystère. Après des études en arts plastiques et ethno-esthétisme à l’université Paris I, une rencontre avec l’ethnologue et réalisateur Jean Rouch l’entraîne vers l’Afrique, où elle passera plus de dix ans. En 2018, cap vers le grand nord, pour photographier les icebergs du Groenland. En 2019, retour en Afrique, cette fois au Soudan, pour explorer les traces du royaume de Méroé.
Cherchant à s’affranchir du principe même de la photographie qui consiste à se servir de la lumière pour créer des images, Juliette Agnel s’attache à explorer l’ombre, à rendre visible ce qui ne l’est pas, utilisant pour ce faire différentes techniques qui font naître dans ses images des apparitions spectrales au milieu du désert ou transforment, par le jeu du négatif ou des variations de couleurs, les masses glacées des icebergs en agglomérats de roches sombres. C’est d’ailleurs une des images de cette série (Les Portes de glace) dans laquelle on croit voir une cavité rocheuse, qui lui a inspiré le thème du travail présenté à Arles. Après plusieurs tentatives infructueuses pour trouver une grotte permettant la réalisation de son projet photographique, elle se retrouve lors du confinement dans la maison de campagne familiale en Bourgogne, qui s’avère voisine des grottes d’Arcy-sur-Cure. Heureux hasard, les grottes étant en mains privées, la photographe est autorisée par les propriétaires à y séjourner durant de longues heures.
Les grottes d’Arcy-sur-Cure, creusées dans la roche calcaire par les eaux silicieuses de la rivière, ont été occupées dès l’époque paléolithique. Sculptées au fil du temps par le ruissellement des eaux de pluie qui s’infiltrent dans les cavités, elles abritent aussi des peintures pariétales datant d’environ 28.000 ans représentant des animaux et des empreintes de mains négatives. L’une de celles-ci, plus petite et apposée plus bas que les autres sur la paroi, la seule aussi incluant le poignet, semble être une main d’enfant qu’un adulte a tenue contre la roche pour y laisser sa trace. Cette image si forte, qui nous fait signe depuis la nuit des temps, et rappelle par sa technique les origines de la photographie, a beaucoup marqué Juliette Agnel qui en a fait l’emblème de la série et le titre de l’exposition.
Pour aborder ce lieu si fortement chargé par sa longue histoire, l’artiste s’est entourée d’un géobiologue et d’un chamane, y a établi des rituels qui se sont imposés à elle comme les sésames indispensables pour se faire accepter par les présences en place. Pour procéder à son travail photographique, elle a fait éteindre toutes les lumières de la grotte et s’est servie de l’obscurité pour en faire la matière première de ses photographies, ne conservant que de toutes petites lampes led en forme de flammes qu’elle a utilisées comme des pinceaux « pour peindre avec la lumière ». Le résultat a réservé des surprises à chaque photographie, chacun des lieux photographiés offrant une infinité de possibilités de prises de vue sans qu’aucune image ne soit jamais semblable à la précédente.
L’exposition est présentée sous l’ancien forum romain d’Arles, dans le site souterrain des cryptoportiques, un extraordinaire ensemble de galeries voutées qui soutenaient les colonnades de la place du forum et servaient de lieu de stockage pour les marchandises. C’est la première fois que ce site exceptionnel abrite une exposition des Rencontres. On ne pouvait trouver lieu plus approprié.
Cryptoportiques (entrée par l’Hôtel de Ville), tous les jours de 9h à 19h, jusqu’au 24 septembre 2023.

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  1. Dolorès Marat, Dérèglement chromatique.

Organisée dans le cadre du programme associé, cette exposition fait partie des belles surprises du festival. C’est aussi une reconnaissance – tardive, mais bienvenue – pour cette photographe autodidacte née à Paris en 1944, qui fait son entrée dans l’historique collection Photo Poche des éditions Actes Sud. Car la vie n’a pas été tendre pour Dolorès Marat. Une enfance bousculée, une scolarité écourtée, une adolescence vouée au travail, et une vie de labeur à élever seule ses deux  enfants. Très tôt, cependant, son attirance pour la photographie va éclairer son parcours. À seize ans, elle quitte son métier de couturière à Boissy-Saint-Léger pour travailler chez le marchand d’appareils-photos de la petite ville voisine, qui lui apprend les bases du métier. Mariée à dix-neuf ans, elle s’installe à Paris et travaille comme photographe de rue avant d’entrer au magazine Votre Beauté, où elle exercera pendant vingt-sept ans le métier de laborantine, puis de photographe. En 1995, elle devient photographe indépendante pour la presse et réalise des commandes pour des grandes marques. En parallèle, elle a commencé dans les années 1980 un travail personnel, intuitif, dont l’exposition présente une sélection rétrospective. Ses beaux tirages uniques, réalisés selon le procédé Fresson en quadrichromie sur charbon direct, ou par impression pigmentaire sur papier japonais, témoignent du talent de Dolorès Marat à saisir la beauté de l’instant, guidée par sa seule émotion. Ses images mouvantes, baignées de couleurs et de poésie, où le rêve infiltre la réalité, où la magie surgit dans un geste pris au vol, comme lorsqu’elle transforme en anges ces deux garçons qui jouent avec les manches de leur anorak un jour de tempête à Deauville, sont magnifiques. Elle ne fait qu’une seule prise de chaque photo, ne fait jamais de retouche ni de recadrage, et ne garde que celles qui restituent l’émotion qu’elle a ressentie lors de la prise de vue. Touchante d’humilité, elle explique combien elle s’est sentie toute sa vie complexée de n’avoir pas eu d’instruction et encore aujourd’hui de n’avoir pas les mots pour parler de ses photographies. Celles-ci pourtant n’ont pas besoin de mots pour accrocher notre regard, nous toucher, et nous plonger dans la rêverie mélancolique de ses paysages intérieurs.
Croisière, tous les jours de 10h à 19h30, jusqu’au 24 septembre 2023.

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  1. Eric Tabuchi et Nelly Monnier, Soleil gris.

L’un est sociologue de formation, l’autre plasticienne. Tous deux ont développé dans leurs parcours respectifs des pratiques artistiques liées à leur intérêt pour l’architecture et le paysage. Depuis 2017, Eric Tabuchi et Nelly Monnier travaillent en duo sur un projet passionnant et monumental (dans les deux sens du terme) : l’Atlas des Régions Naturelles, une archive photographique de l’ensemble des « objets construits » du territoire français. L’idée de cet inventaire est née du constat qu’environ 90% de ce territoire échappe à toute représentation, les 10 % restants concernant principalement le pourtour littoral, les montagnes et les lieux touristiques. L’ambition de ce projet est de « documenter ce qui fait la réalité d’un territoire, pas seulement par ses points de vue touristiques et remarquables, mais par ce qui est la réalité de ceux qui y vivent : usines, ronds-points, maisons, pavillons individuels… tout le bâti dans sa diversité », y compris les paysages façonnés par l’homme. À mi-chemin entre déambulation poétique et mission scientifique, ce voyage au long cours à travers la France profonde s’appuie sur un découpage de régions naturelles, c’est-à-dire sur une division géographique liée à la nature du sol. Encore profondément ancrée dans les usages de la ruralité française, même si elle ne repose que sur la tradition orale, cette classification par terroirs se distancie du découpage administratif en départements établi à la Révolution. Calquées sur la géologie, les frontières de ces régions sont moins nettement délimitées que celles des départements mais impriment leurs caractéristiques à l’architecture. La géologie très variée de la France lui confère une diversité exceptionnelle de terroirs, surtout dans sa partie méridionale. On dénombre ainsi 450 régions naturelles sur le seul territoire français. À raison d’une cinquantaine de photographies par région, cela fait près de 25.000 images à réaliser par les deux photographes, une entreprise titanesque encore inachevée dont ils livrent ici un petit échantillon, mais qui est déjà consultable sur le site internet dédié (https://www.archive-arn.fr), où la recherche par mots-clés, et à l’aide d’une carte des interactive des régions, permet d’établir des typologies très spécifiques (classements par couleur, par forme, par fonction, etc.). À ce jour, quatre volumes sont déjà parus. Un travail très sérieux du point de vue méthodologique, rendu souvent très drôle par leurs trouvailles architecturales.
L’exposition à Ground Control présente environ 250 photos sur des structures modulables. Le titre de l’exposition fait référence à la lumière tamisée choisie pour faire leurs prises de vue, plus apte à mettre en valeur les détails de l’architecture.
Ground Control, tous les jours de 9h à 19h30, jusqu’au 24 septembre 2023.

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  1. Casa Susanna.

En 2004, un couple d’antiquaires découvre sur un marché aux puces de New York une collection de 340 photos amateurs des années 1950 et 1960. On y voit des hommes habillés en femmes, non pas en drag queens ou en stars de cabaret couvertes de plumes, mais en tenue bien sage de femmes au foyer middle class, prenant la pose devant l’objectif. La plupart de ces images, destinées à des albums souvenirs à usage privé, ont été prises lors de réunions clandestines qui se tinrent pendant un dizaine d’années dans un domaine retiré des Catskills, au nord de l’état de New York. « Casa Susanna » est le nom d’une des deux propriétés où Marie Tornell et son mari Diego Arriagada, alias ‘Susanna’, accueillirent toute une communauté de travestis. Des hommes blancs, majoritairement mariés, très éduqués, qui venaient, souvent avec leurs épouses, passer des séjours ou des week-ends dans ce lieu à l’abri des regards où ils pouvaient enfin « être eux-mêmes ». Dans l’Amérique puritaine de l’époque, ces pratiques étaient bien sûr violemment réprouvées, non seulement du point de vue moral, mais aussi sur le plan légal. Ceux qui s’y livraient prenaient des risques très importants, susceptibles d’avoir des conséquences dramatiques sur leur carrière, leurs relations sociales et familiales. Dans un film éponyme disponible jusqu’au 12 octobre prochain sur arte tv*, le réalisateur Sébastien Lifshitz a recueilli les témoignages émouvants d’anciens membres de ce réseau, qui évoquent les sentiments d’incompréhension, de mal-être et d’isolement auxquels ils ont été confrontés depuis l’enfance, et l’extraordinaire sensation de liberté qu’ils ont pu éprouver au cours des moments passés dans ce havre à l’écart du monde. On y entend aussi des membres de leur famille témoigner des répercussions très douloureuses que ces situations ont entraînées pour leur entourage.
Espace Van Gogh, tous les jours de 10h à 19h30 jusqu’au 24 septembre 2023.
https://www.arte.tv/fr/videos/098134-000-A/casa-susanna/

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Rencontres d’Arles 2023 : https://www.rencontres-arles.com/

Photo de titre : Photomontage, Rencontres d’Arles 2023, Théâtre antique © Isabelle Henricot

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